Le Shiatsu en Psychomotricité, rencontre et échanges subtiles, monde sensible
- Lise Molina
- 6 sept. 2022
- 8 min de lecture
J'ai fini ma formation Shiatsu en 2008. Je garde une sorte d'émoi face aux mystères sensibles de cette belle pratique du visible et de l'invisible (et un amour des langues et des étymologies).
Voici donc des repères concrets si vous vous questionnez sur le Shiatsu.
Voici un texte, remanié pour vous, d'une intervention donnée aux Journées annuelles du SNUP (un genre de "grand messe" des psychomotriciens) en 2015. Pour les curieux (et les courageux), le texte original est dispo en version complète en bas de page.
En tant que psychomotricienne, une de mes médiations de prédilection est la médiation shiatsu, pratique orientale de santé par le toucher. Exigeante, dans l'implication corporelle qu'elle requiert pour moi, surprenante, par ses effets pour vous. Déroutante, par ses présupposés et les théories sur lesquelles elle s'appuie : énergie, méridiens... késako ? qu'est-ce que le shiatsu et d'où vient-il ? Il s'agira d'entrer dans une culture et une pensée très différentes de la nôtre pour comprendre les notions d'énergie, de méridien, de point d'acupuncture et de corps énergétique.
Votre première séance.
Son déroulement consiste en un court entretien préalable au travail corporel. Il vous est recommandé devenir habillé confortablement. A côté de nous, j'ai disposé un futon, matelas de coton un peu épais. Votre demande est précisée. Les règles de confidentialité et de non jugement sont énoncées. Je propose fréquemment un suivi en psychomotricité avec, pour commencer, la médiation shiatsu sur 3 séances. Les séances durent 1h à 1h30, à raison d'une séance par semaine et se déroulent si possible en silence. Un court temps de verbalisation est préservé en fin de séance.
Vous vous allongez sur le futon. Une observation sensible, un toucher précis et rapide du ventre me donnent des éléments diagnostiques utiles pour la pratique du shiatsu. Puis le soin en lui-même peut commencer. Le contact est doux et présent dans tout le déroulement du soin, qui dure 45'' à 1h. Par des pressions des pouces et des mains, je travaille sur votre dos, et vos jambes, sur votre tête, vos bras. Le shiatsu se fait par dessus les vêtements, ce qui a le double intérêt de préserver la pudeur et de garder la chaleur du corps.
Je suis attentive aux informations que je donne, comme à celles que je reçois. La qualité structurante du toucher, la régularité des pressions, leur rythme, les mobilisations induisent une baisse du tonus musculaire, offrent une expérience du poids, de l'intériorité, de la sensorialité.
Le fait de travailler au sol m'assure un bon ancrage de me positionner exactement dans la posture adaptée selon votre morphologie, mon "hara" (mon centre) en face de la zone sur laquelle je travaille. Je balance et déplace le poids de mon corps au-dessus de mes mains qui touchent votre corps. Le bon ancrage de mes pieds et de mes jambes et la détente de mes bras me permettent de négocier la pression pour qu'elle soit juste (ni dure ni effleurante). Puis, je signifie la fin du soin dans ma dernière pression. Je vous laisse émerger, vous invite à bouger progressivement, vous étirer, laisser venir les soupirs et bâillements, et vous rasseoir. De nouveau face à face, nous prenons le temps des verbalisations, descriptions de sensations et d'images qui sont venues en séance. Au bout de ces trois premières séances de shiatsu, certains symptômes ont peut être disparus. Vous pouvez, si vous le souhaitez, choisir de venir à nouveau quand vous en éprouverez le besoin ou vous engager dans un travail psycho-corporel régulier. En effet, parfois, la détresse, le corps méconnu, les défenses à lâcher son poids laissent pressentir qu'il faudra du temps et de la régularité.
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Dans quel contexte culturel s'inscrit le Shiatsu ? Quels sont ses fondements ? Le shiatsu est décrit comme un "dialogue" car il s'agit, par un toucher particulier du praticien, de "décrypter" des informations sur le corps du patient, ce toucher délivrant en retour un message précis aux différents plans de l'être. Le shiatsu se différencie du massage par le fait qu'il ne s'adresse pas aux muscles et à la peau, mais touche les méridiens et les points d'acupuncture. Cette technique manuelle d'origine japonaise ("shiatsu" signifie "pressions des doigts") est basée sur des pressions des pouces, de la main, des étirements, des mobilisations.
Un peu d'histoire !
Le shiatsu est une pratique traditionnelle japonaise venue de Chine au Vème siècle. Le shiatsu trouve son origine dans la Médecine Traditionnelle Chinoise(MTC), pratique de santé vieille d'au moins 6000 ans, qui propose, traditionnellement, un soin complet par le massage, l'acupuncture, les plantes (pharmacopée) et l'alimentation (diététique), enrichi de conseils d'hygiène de vie et d'exercices de santé. Il est regrettable aujourd'hui de réduire cette médecine à l'acupuncture. Le shiatsu a pour objectif la prévention et l'entretien de la santé, dans une vision holistique de l'être en relation avec le monde dans lequel il vit.
Voyons l'étymologie des mots ou comment la poésie des images offre une vision très concrète de notions qui pourraient paraître abstraites, voire ésotériques.
Le toucher shiatsu s'intéresse à la circulation du Qi dans le corps. Le Qi désigne le flux qui circule dans les méridiens d'acupuncture et peut être traduit par "souffle", "essence" ou "énergie". Le terme "énergie" sous-tend en occident le résultat d'une activité mécanique ou électrique. Or, ici, c'est l'énergie liée à la matière dont elle jaillit : la noix prête à germer qui porte le potentiel de l'arbre, le grain de céréale, enveloppe rompue par la cuisson ou par la digestion, prêt à libérer les forces qu'il recèle. C'est le moment où l'énergie change d'état, passant d'un état condensé à un état plus subtil. Il est dit que lorsque le Qi se concentre, on le nomme matière et lorsqu'il se disperse, on le nomme espace. Lorsque le Qi se rassemble, on le nomme vie, et lorsqu'il se sépare, on le nomme mort. Lorsque le Qi circule, on le nomme santé et, lorsqu'il stagne, maladie.
Les méridiens "Jing Mai" sont de fins canaux de circulation du Qi. Une des significations de Jing Mai est la chaîne d'un tissu, c'est à dire sa structure fixe : ce qui est donné avant que ne commence le tissage avec le fil de trame. Sous la surface visible des choses, la trame du tissu, existe un réseau, la chaîne, réseau de voies marquées de points, de nœuds, par où doivent obligatoirement s'écouler les flux. La multiplicité spatiale des points obligés de passage, comme constituant l'existence même de ce qui se structure. Chaînes d'un tissu, routes, longitudes, vaisseaux..., ou encore "sentes", qui désigne les sentiers des animaux dans la nature. Mai (ou Mo) sont les vaisseaux et donnent l'image du flux perpétuel des veines d'eau dans la terre. "On peut comprendre le réseau des méridiens comme la règle constante par laquelle l'invisible génère le visible".
Cent trente trois méridiens, subtils vecteurs du Qi, parcourent ainsi le corps, maillage parcouru de flux, vivant. Les méridiens, par la circulation qui s'y joue, donnent forme au corps, de la même manière que le système musculo-tendineux "sculpte" les os et la posture du sujet, ou que le vent créé des ondulations sur le sable des dunes.
Les méridiens relient les organes entre eux, la surface du corps avec l’intérieur, la gauche et la droite, le haut et le bas… et organisent et structurent le corps. Ce flot énergétique circulant sans arrêt, selon des rythmes et des cycles particuliers, est en relation constante d'influence avec la circulation sanguine et celles des liquides organiques. Le trajet du méridien est superficiel et profond, et passe par l'organe auquel le méridien se rapporte mais aussi par d'autres organes. Quand nous parlons en MTC du Rein ou de la Rate (avec une majuscule), nous nommons deux modalités différentes d'une même fonction : l'organe et son méridien. Un trouble fonctionnel organique se reflétera donc sur son méridien et sera perçu par le toucher. "Si les pressions effectuées en shiatsu sur un méridien influencent une fonction organique particulière, elles sollicitent également les tissus que le méridien irrigue et les autres organes que celui-ci connecte".
Sur les méridiens, se trouvent des points d'acupuncture. Plaçons une électrode, dont le neutre est tenu par la main du patient, sur n'importe lequel de ces points, avec un mini haut parleur branché en dérivation, le haut parleur sonne, témoignant d'un mini-courant, d'une petite différence de potentiel. Il y a 365 points traditionnellement. Une traduction de "Xue" est "grotte, caverne, tanière. Grottes, celles où les hommes de Cro-Magnon peignaient, lieux élus pour donner accès au monde caché. Lieux en creux où les forces souterraines s'accumulent et que le géomancien va venir ausculter. Macrocosme-microcosme : l'analogie avec l'énergétique humaine est claire : le Xue est un creux anatomique où affleure le réseau de l'énergie –que le praticien pourra donc examiner en cet endroit". "Grotte" indique la profondeur et renseigne sur la manière dont l'aiguille ou le pouce du praticien vont "plonger".
Les points, qui sont à la fois des fenêtres, donnant accès à la perception de l'état du méridien ou des organes, et des vannes, permettant de réguler la circulation énergétique, possèdent des facultés particulières, comme celle de tonifier une fonction organique ou d'apaiser l'esprit, de détendre la musculature etc... Chaque point a un nom chinois et un numéro associé selon sa place sur le méridien. La traduction du nom chinois, au delà de l'aspect parfois poétique ou surprenant, est une piste thérapeutique en MTC car il en dit long sur la fonction, le rôle, l'éventuelle fragilité.
Le soin du corps énergétique.
Parcouru de flux, le méridien est comparable à une rivière, qui parfois semble asséchée en certains points ou débordante en d'autres. Les points du méridien sont alors douloureux à la pression, signe de déséquilibres de la circulation et donc de malaise physique ou psychique. D'autre part, du fait de ce système de méridiens, un symptôme peut être causé par un blocage du Qi loin de la zone concernée et divers symptômes peuvent avoir une relation. Si, zone après zone, le corps dans son entier est traité, tous les liens pouvant exister entre les divers symptômes sont considérés ainsi que la cause fondamentale de la douleur ou du mal-être. C'est une des raisons pour lesquels on utilise un shiatsu complet, qui passe sur l'ensemble du corps.
Nous sommes alors en contact avec le «corps énergétique», qui représente en quelque sorte "l'arbre organisateur des fonctions qui soutiennent la vie". A la manière d'une symphonie dont la mélodie, le rythme et l'harmonie conditionneraient l'équilibre dynamique d'un vivant dans son corps, en rapport avec le monde environnant tel qu'il le ressent, le subit, le conçoit. "Si l'on mobilise avec attention chaque parcelle de notre corps, si l'on anime consciemment toutes les articulations, les muscles, os... que rendons nous mobile ? Simplement l'énergie, celle-là même qui fonde cette matière". Flux de mouvement, écoute sensible, structuration des espaces interne et externe, plongée en soi, usage d'un corps vécu, et non pas mécanique. "En percevant l'espace au cœur des articulations, entre les fibres musculaires ,entre peau et chair, entre les cellules, en réalisant que cet espace est inhérent à la densité, nous sentons la vie, l'énergie, en perpétuels mouvements... il faut partir du grossier pour en percevoir la subtilité". Pas à pas jusqu'aux pratiques énergétiques que sont Qi Gong, Taiji Quang, Do In, Yoga. Il s'agit d'abord de jouer le jeu... Le doute comme la pensée empêche la réceptivité. Le temps et l'expérience permettent d'affiner les sensations, d'enrichir le vécu, de vivre différemment. C'est ce que nous avons à coeur d'explorer dans les ateliers proposés par l'Association STILI, en complément des soins en individuel.
Pour conclure, le shiatsu ne guérit pas, il donne un coup de pouce "sur la route". La lenteur et la douceur du cheminement font que vous avez tout loisir d'intégrer chaque étape de la ré harmonisation, ce qui vous permet de devenir acteur de vos propres transformations. Emergences et articulations d'éprouvés, d'images, d'affects : il s'agit toujours d'agir, au moment opportun, en liaison avec la totalité de ce qui existe, dans le flux de la Vie. Fluidité, simplicité, efficacité... Comment le langage, qui est discursif, pourrait-il rendre compte de la magie qui s'opère ?
Cessons de parler, venez pratiquer !

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